21 avr. 2012

Pour l'instauration d'un droit à pisser


L'expérience a très certainement été vécue par tous (bon, pour certains plus que d'autres) : vous vous retrouvez en pleine ville, rongés par cette envie pesante et pressente, mais dépourvue de tout lieu de soulagement et l'histoire se termine sans dignité derrière un arbre au Trocadéro, dans une ruelle un brin glauque. Le sujet peut paraître déplacé ou grivois, au mieux insolite, il est pourtant immensément important. Nous manquons d'accès à des lieux d'aisance publics, gratuits et propres.

Pour que cela change, combatsdecoqs milite pour l'instauration d'un nouveau droit de l'homme : le droit de miction, le droit de se soulager, plus clairement le droit à pisser, c'est-à-dire un droit créance ou social, comme le droit au logement, qui devrait conférer aux pouvoirs publics une obligation de résultat. Or l'offre de toilettes accessibles sans condition a diminué, y compris dans les cafés et dans les bars, en limitant aux consommateurs ou en tarifant les services. Les toilettes accessibles dans les gares et dans les parcs se sont raréfiés. Les lieux de commodités sont inexistants dans les couloirs et stations de métro. Uriner, et plus si affinités, est un besoin fondamental, pourtant son exercice est devenu de plus en plus compliqué. Or le Code pénal permet de punir les personnes obligées de s'épancher dans l'espace public. Certains ont fait l'amère expérience de contraventions.

La question relève de l'aménagement des espaces publics, de l'urbanisme, de l'hygiène, de la justice et de l'hospitalité des villes. Le manque d'accès à des toilettes publiques gratuites est la source d'inégalités fortes. Entre les hommes et les femmes d'abord, il est plus facile pour l'homme de s'exécuter rapidement contre un mur (avec les éclaboussures sur les chaussures qui vont bien). Surtout, inégalité entre les riches et les pauvres. Les plus touchés par ce manque d'accès aux toilettes publiques sont les sans-abris dans les pays riches et les plus démunis dans les pays en développement. Ainsi Julien Damon, sociologue français qui a écrit le très important ouvrage Questions urbaines, questions sociales, et à qui cet article doit beaucoup, écrit « les SDF, sans domicile ni offices privatifs, sont en permanence confrontés aux contraintes de la nécessité ». Pour eux, l'accès au droit à pisser est un problème quotidien de dignité. Dans les villes en développement près d'un milliard de personnes manquent d'un raccordement à un réseau d'eau potable et à un système d'évacuation des eaux usées. Cette situation est à l'origine du décès d'un million d'enfants par an (ah oui, ça calme !). 40% de la population mondiale n'ont pas accès à des toilettes convenables.

Petite histoire des servitudes d'aisance

Norbert Elias juge que l'instauration de toilettes publiques relève du processus de civilisation des mœurs occidentales (pour vous faire la preuve que le sujet est vraiment hyper sérieux). Les premiers équipements en France apparaissent pendant la Révolution et se développent au cour du 19ème siècle au moment où la jonquille l'emporte sur le miasme, selon l'analyse d'Alain Corbin sur l'histoire de l'odorat et de son imaginaire.



Paris se dote en masse d'équipements à partir de 1880 dans la lignée de la révolution hygiéniste du préfet Hausmann et du célèbre Poubelle. Il s'agit des fameuses vespasiennes, ces petites cases d'aisance qui doivent leur nom à l'empereur romain Vespasien qui installa dans Rome des toilettes publiques (enfin il s'agissait assez sommairement de trous en argile, mais quand même). Mais ces chalets de nécessité sont réservés aux hommes et vont disparaître progressivement après la Seconde Guerre mondiale en raison de leur manque d'hygiène, de l'amélioration de l'équipement des logements (en fait, plus les besoins privés ont été couverts, plus l'offre publique a été laissée de côté alors même que les besoins n'avaient pas disparu, notamment pour les voyageurs, les flanneurs, et les sans-abris), et troisième raison, pour leur mauvaise réputation : il s'agissait de lieux de rencontres et d’ébats homosexuels, oh mon dieu, notamment évoqués par Proust et Genet. En 1961, la municipalité de Paris décide officiellement de supprimer les vespasiennes gratuites (il reste deux survivantes rue Mirabeau et boulevard Araga) et les remplacent par quelques toilettes souterraines payantes comme dans le jardin du Luxembourg, tenues par les fameuses « dames pipi » dont on peut convenir que l'expression est affreuse (et misogyne ? Non !).


En 1980, l'espace public est de nouveau aménagé avec les toilettes Décaux, on en trouve un de première génération sur le Boulevard Saint Germain. Ces toilettes publiques sont enfin accessibles aux femmes, et des progrès notables sont faits en matière de nettoyage et de sécurité. Mais ces toilettes sont payantes et peu fréquentées. En 2006, la Mairie de Paris décide du retour à la gratuité, et de nouveaux édicules (petites constructions édifiées sur la voie publique – kiosques, arrêts de bus, toilettes) ont fleuri, offrant aux plus démunis un droit à l'intimité et à l'hygiène, et préservant l'espace public des épanchements d'urines.

Pour une densification du réseau des toilettes publiques

Mais cette offre reste insuffisante, l'attente est longue entre deux personnes en raison du nettoyage automatique (inviter un novice à rentrer juste après vous peut être une très bonne blague), les conditions de sécurité ne sont toujours assurées, ces lieux sont notamment utilisés par des prostitués ou des toxicomanes. Aussi, nous nous faisons diffuseurs du plan Gratuité / Propreté / Sécurité imaginé par Julien Damon qui tient en quelques points :
  • Inscription dans le code de l'urbanisme des éléments du droit à pisser obligeant à la mise en place d'un plan d'équipement des villes en édicules (possibilité de créer un seuil minimum selon le nombre d'habitants ou de personnes passant sur le site)
  • Obligation dans tout nouveau bâtiment ou espace accueillant du public d'un ratio de un sur deux pour l'espace consacré aux toilettes hommes et femmes pour rétablir une égalité de fait
  • Développer les offres gratuites de toilettes, douches et vestiaires dans des mini-complexes comme les bains-douches parisiens (l'équivalent à Poitiers a d'ailleurs été fermé)
  • Prendre acte du fait que les bars, les cafés, et les fast-food surtout, sont devenus des toilettes publiques. Les sites animés par du personnel mettent en confiance et répondent à l'exigence de sécurité. Il est possible de leur confier une délégation de service public, de les subventionner, en échange d'une obligation de moyen, d'aménager leur licence, d'ailleurs encadrée dans le code de santé publique au nom de la lutte contre l’alcoolisme, il n'est donc pas aberrant d'y ajouter des dispositions concernant l'hygiène.

L'urinoir est un progrès social

Les toilettes publiques et le droit à pisser sont un sujet politique à assumer, et pourtant absent du débat présidentiel. C'est un débat entre conservateurs et progressistes, entre la droite et la gauche. Vouloir des toilettes c'est vouloir plus d'égalité, permettre à tous de satisfaire ses besoins fondamentaux, naturels et nécessaires selon la terminologie d'Épicure. Pour vous en assurer, lisez Clochemerle de Gabriel Chevalier où s'oppose dans un petit village le maire qui souhaite installer des toilettes publiques sur la place de l'église, et les conservateurs qui s'opposent à la cohabitation entre les besoins terrestres et l'édifice religieux. Pour mettre tout le monde d'accord, sachez que dans toutes les églises de Suède, il y a des toilettes publiques et gratuites, donc accessibles à tous.

A voir :
  • Les toilettes publiques : un droit à mieux aménager – Julien Damon, Droit social 2009
  • La dernière tasse – Marianne Blidon, espacetemps.net
  • Le trèfle : une application iphone pour trouver les toilettes publiques les plus proches.
  • Le documentaire La Soif du Monde de Yann Arthus Bertrand sur Yvette qui tient des toilettes publiques à Yaoundé et explique l'importance de son travail pour l'hygiène et la santé.
Toilettes publiques et gratuites, les bons plans :
  • Poitiers : la médiathèque, la BU de droit, le centre commercial les Cordeliers, les toilettes de la gare au niveau 1 du parking
  • Lille : les toilettes du Parc Jean-Baptiste Lebas
  • Paris : les toilettes du Louvre ou de Pompidou, les 480 toilettes Decaux partout dans la ville
  • Rennes : le centre commercial la Visitation, à éviter les vespasiennes place Saint-Anne scandaleusement non nettoyées
Balancez en commentaire vos bons plans pipi, les lieux où il n'y a pas d'accès gratuit (genre la gare du nord), ou pis, vos expériences difficiles de pipi sauvage en raison de l'absence de lieux d'aisance (un buisson à côté de la tour Eiffel, un quai de métro ou de gare...)

2 commentaires:

  1. Quai de la gare,sans monnaie. Je tiens donc la porte de la personne sortant des toilettes, en me disant tant pis si ce n est pas désinfecté entre nous.et là, c est la douche froide... Ou la pluie tropicale. Comme quoi on peut aussi se faire des blagues soi-même!

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  2. Pipi sauvage mais étudié,derrière un buisson. Mais devant une barre d' immeuble de 20 étages!!!!

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