L'expérience a très
certainement été vécue par tous (bon, pour certains plus que
d'autres) : vous vous retrouvez en pleine ville, rongés par
cette envie pesante et pressente, mais dépourvue de tout lieu de
soulagement et l'histoire se termine sans dignité derrière un
arbre au Trocadéro, dans une ruelle un brin glauque. Le sujet peut
paraître déplacé ou grivois, au mieux insolite, il est pourtant
immensément important. Nous manquons d'accès à des lieux
d'aisance publics, gratuits et propres.
Pour que cela change,
combatsdecoqs milite pour l'instauration d'un nouveau droit de
l'homme : le droit de miction, le droit de se soulager,
plus clairement le droit à pisser, c'est-à-dire un droit
créance ou social, comme le droit au logement, qui devrait conférer
aux pouvoirs publics une obligation de résultat. Or l'offre de
toilettes accessibles sans condition a diminué, y compris dans les
cafés et dans les bars, en limitant aux consommateurs ou en tarifant
les services. Les toilettes accessibles dans les gares et dans les
parcs se sont raréfiés. Les lieux de commodités sont
inexistants dans les couloirs et stations de métro. Uriner, et plus
si affinités, est un besoin fondamental, pourtant son exercice est
devenu de plus en plus compliqué. Or le Code pénal permet de punir
les personnes obligées de s'épancher dans l'espace public. Certains
ont fait l'amère expérience de contraventions.
La question relève de
l'aménagement des espaces publics, de l'urbanisme, de l'hygiène, de
la justice et de l'hospitalité des villes. Le manque d'accès à des
toilettes publiques gratuites est la source d'inégalités
fortes. Entre les hommes et les femmes d'abord, il est plus facile
pour l'homme de s'exécuter rapidement contre un mur (avec les
éclaboussures sur les chaussures qui vont bien). Surtout, inégalité
entre les riches et les pauvres. Les plus touchés par ce manque
d'accès aux toilettes publiques sont les sans-abris dans les pays
riches et les plus démunis dans les pays en développement. Ainsi
Julien Damon, sociologue français qui a écrit le très important
ouvrage Questions urbaines, questions sociales, et à qui cet
article doit beaucoup, écrit « les SDF, sans domicile ni
offices privatifs, sont en permanence confrontés aux contraintes de
la nécessité ». Pour eux, l'accès au droit à pisser est
un problème quotidien de dignité. Dans les villes en développement
près d'un milliard de personnes manquent d'un raccordement à un
réseau d'eau potable et à un système d'évacuation des eaux usées.
Cette situation est à l'origine du décès d'un million d'enfants
par an (ah oui, ça calme !). 40% de la population mondiale
n'ont pas accès à des toilettes convenables.
Petite histoire des
servitudes d'aisance
Norbert Elias juge que
l'instauration de toilettes publiques relève du processus de
civilisation des mœurs occidentales (pour vous faire la preuve que
le sujet est vraiment hyper sérieux). Les premiers équipements en
France apparaissent pendant la Révolution et se développent au cour
du 19ème siècle au moment où la jonquille l'emporte sur
le miasme, selon l'analyse d'Alain Corbin sur l'histoire de l'odorat
et de son imaginaire.
Paris se dote en masse
d'équipements à partir de 1880 dans la lignée de la révolution
hygiéniste du préfet Hausmann et du célèbre Poubelle. Il s'agit
des fameuses vespasiennes, ces petites cases d'aisance
qui doivent leur nom à l'empereur romain Vespasien qui installa dans
Rome des toilettes publiques (enfin il s'agissait assez sommairement
de trous en argile, mais quand même). Mais ces chalets de
nécessité sont réservés aux hommes et vont disparaître
progressivement après la Seconde Guerre mondiale en raison de leur
manque d'hygiène, de l'amélioration de l'équipement des logements
(en fait, plus les besoins privés ont été couverts, plus l'offre
publique a été laissée de côté alors même que les besoins
n'avaient pas disparu, notamment pour les voyageurs, les flanneurs,
et les sans-abris), et troisième raison, pour leur mauvaise
réputation : il s'agissait de lieux de rencontres et d’ébats
homosexuels, oh mon dieu, notamment évoqués par Proust et Genet. En
1961, la municipalité de Paris décide officiellement de supprimer
les vespasiennes gratuites (il reste deux survivantes rue Mirabeau et
boulevard Araga) et les remplacent par quelques toilettes
souterraines payantes comme dans le jardin du Luxembourg, tenues par
les fameuses « dames pipi » dont on peut convenir que
l'expression est affreuse (et misogyne ? Non !).
En 1980, l'espace public
est de nouveau aménagé avec les toilettes Décaux, on en
trouve un de première génération sur le Boulevard Saint Germain.
Ces toilettes publiques sont enfin accessibles aux femmes, et des
progrès notables sont faits en matière de nettoyage et de sécurité.
Mais ces toilettes sont payantes et peu fréquentées. En 2006, la
Mairie de Paris décide du retour à la gratuité, et de nouveaux
édicules (petites constructions édifiées sur la voie
publique – kiosques, arrêts de bus, toilettes) ont fleuri, offrant
aux plus démunis un droit à l'intimité et à l'hygiène, et
préservant l'espace public des épanchements d'urines.
Pour une densification
du réseau des toilettes publiques
Mais cette offre reste
insuffisante, l'attente est longue entre deux personnes en raison du
nettoyage automatique (inviter un novice à rentrer juste après vous
peut être une très bonne blague), les conditions de sécurité ne
sont toujours assurées, ces lieux sont notamment utilisés par des
prostitués ou des toxicomanes. Aussi, nous nous faisons diffuseurs
du plan Gratuité / Propreté / Sécurité imaginé par Julien Damon
qui tient en quelques points :
- Inscription dans le code de l'urbanisme des éléments du droit à pisser obligeant à la mise en place d'un plan d'équipement des villes en édicules (possibilité de créer un seuil minimum selon le nombre d'habitants ou de personnes passant sur le site)
- Obligation dans tout nouveau bâtiment ou espace accueillant du public d'un ratio de un sur deux pour l'espace consacré aux toilettes hommes et femmes pour rétablir une égalité de fait
- Développer les offres gratuites de toilettes, douches et vestiaires dans des mini-complexes comme les bains-douches parisiens (l'équivalent à Poitiers a d'ailleurs été fermé)
- Prendre acte du fait que les bars, les cafés, et les fast-food surtout, sont devenus des toilettes publiques. Les sites animés par du personnel mettent en confiance et répondent à l'exigence de sécurité. Il est possible de leur confier une délégation de service public, de les subventionner, en échange d'une obligation de moyen, d'aménager leur licence, d'ailleurs encadrée dans le code de santé publique au nom de la lutte contre l’alcoolisme, il n'est donc pas aberrant d'y ajouter des dispositions concernant l'hygiène.
L'urinoir est un
progrès social
Les toilettes publiques
et le droit à pisser sont un sujet politique à assumer, et pourtant
absent du débat présidentiel. C'est un débat entre conservateurs
et progressistes, entre la droite et la gauche. Vouloir des toilettes
c'est vouloir plus d'égalité, permettre à tous de satisfaire ses
besoins fondamentaux, naturels et nécessaires selon la terminologie
d'Épicure. Pour vous en assurer, lisez Clochemerle de Gabriel
Chevalier où s'oppose dans un petit village le maire qui souhaite
installer des toilettes publiques sur la place de l'église, et les
conservateurs qui s'opposent à la cohabitation entre les besoins
terrestres et l'édifice religieux. Pour mettre tout le monde
d'accord, sachez que dans toutes les églises de Suède, il y a des
toilettes publiques et gratuites, donc accessibles à tous.
A voir :
- Les toilettes publiques : un droit à mieux aménager – Julien Damon, Droit social 2009
- La dernière tasse – Marianne Blidon, espacetemps.net
- Le trèfle : une application iphone pour trouver les toilettes publiques les plus proches.
- Le documentaire La Soif du Monde de Yann Arthus Bertrand sur Yvette qui tient des toilettes publiques à Yaoundé et explique l'importance de son travail pour l'hygiène et la santé.
Toilettes publiques et
gratuites, les bons plans :
- Poitiers : la médiathèque, la BU de droit, le centre commercial les Cordeliers, les toilettes de la gare au niveau 1 du parking
- Lille : les toilettes du Parc Jean-Baptiste Lebas
- Paris : les toilettes du Louvre ou de Pompidou, les 480 toilettes Decaux partout dans la ville
- Rennes : le centre commercial la Visitation, à éviter les vespasiennes place Saint-Anne scandaleusement non nettoyées
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vos bons plans pipi, les lieux où il n'y a pas d'accès gratuit
(genre la gare du nord), ou pis, vos expériences difficiles de pipi
sauvage en raison de l'absence de lieux d'aisance (un buisson à côté
de la tour Eiffel, un quai de métro ou de gare...)