18 mai 2012

Audrey Pulvar n’est plus


Arnaud Montebourg tout juste nommé au ministère au titre soviétique Redressement productif, le couperet tombe et France Inter présente au peuple la tête encore sanguinolente d’Audrey Pulvar, tout juste passée à l’échafaud. Comme sous la Terreur du regretté Robespierre, c’est à l’accusé de prouver son innocence. Et dans le cas de la journaliste Audrey Pulvar, il y a bien présomption de culpabilité. Comdamnée, car coupable d’avoir perdu sa neutralité de journaliste, son indépendance, entraînant par la même, celle de l’ensemble de la rédaction de France-inter (Qui avait réellement attendu la liaison Pulvar-Montebourg pour qualifier France-inter de radio de gauche ?).
            Ce matin de 6 à 7, Audrey Pulvar a donc animé cette tranche matinale pour la première fois en concluant sur ces mots :

«Pas de drame, ni amertume. La direction de France Inter souhaite conserver la neutralité de la rédaction, de cette belle et grande radio qui est la vôtre. Je le comprends même si ce n'est pas le moment le plus agréable quand on aime son travail. Merci pour vos mots de soutien, de colère parfois, pardon à ceux que mes choix ont pu heurter parfois, à bientôt pour une autre histoire sur France Inter bien sûr.»

            Effectivement domine un sentiment de colère et de gène car plus que l’indépendance des journalistes, c’est des droits des femmes dont il est ici question, de leur indépendance, de leur libre arbitre.
La carrière d’Audrey Pulvar est longue, elle n’a pas débuté, ou ne s’est pas terminée au moment de sa rencontre avec Montebourg. Ses qualités de journalistes demeurent, qu’en pensent Monsieur Vall et Monsieur Hesse, les patrons de France-inter et Radio France ? Elle les a notamment prouvées dans l’interview sur France 3 en 2006 d’un Nicolas Sarkozy trop vite agacé, ou dans son dynamisme et ses billets acérés tous les matins, et on lui pardonnera de s’égarer sur le plateau d’On n’est pas couché.
Audrey Pulvar est journaliste et féministe, et même de gauche (mais cela peut-il empêcher d’être journaliste ? – je crois que le siège de Libération est à brûler si c’est le cas), jouant la provocation en posant avec une rose à la une des Inrocks, mais au nom de quoi la priver d’antenne ? Quelle régression pour les droits des femmes, qu’une union sentimentale vous prive d’une carrière professionnelle. Alors son interview dans les Inrocks d’Avril se révèle aujourd’hui juste, cinglante et révoltante :

« J'ai cru pouvoir être jugée sur pièces... A tort. J’ai beau me débattre pour dire que je fais mon travail en fonction des lieux où j’exerce, que je parle en tant que femme indépendante et non en tant que femme «de», je sens bien que beaucoup de journalistes ne sont pas à l’aise avec ça ».

            Dès l’annonce de la candidature de Montebourg au primaire, i>Télé lui retire son émission, France Inter lui retire son interview de 7h53, désormais confiée à Pascale Clarck. Le 6-7 perdure sur France Inter jusqu’à ce matin, à cette heure-ci compagne du conseiller d’un candidat à la présidentielle c’est encore tolérable, mais compagne d’un ministre, alors là non c’est impossible, inconvevable, intolérable.
France Inter peut bien faire une émission chaque semaine sur les droits des femmes, si c’est pour ensuite régner toute indépendance et liberté aux femmes. Audrey Pulvar aurait-elle arrêté de penser en rencontrant Arnaud Montebourg ? Les femmes perdent-elles leur esprit critique pour embrasser celui de leur mari ? Fallait-il donner le droit de vote aux femmes si elles ne votent que comme leur mari, ou pis comme le curé ?
Et puis après tout, poussons la réflexion jusqu’au bout, ou jusqu’à l’absurde, si la situation ne l’est déjà pas suffisamment comme cela. Si Audrey Pulvar n’est que la « femme de », en cas de victoire aux élections de Nicolas Sarkozy, et de la nomination d’un gouvernement de droite, pouvait-on maintenir à l’antenne celle qui n’aurait finalement été qu’une adversaire politique, que la porte-parole de son compagnon, et pas une journaliste ? Voilà un raccourci que Jean-François Copé n’avait en rien hésité à franchir le 9 décembre 2010 sur le plateau du Grand Journal :

"Si je suis interrogé par Audrey Pulvar, connaissant son lien avec Arnaud Montebourg, ça me pose un petit problème."

Voici un raccourci que Rue89 semble tenter d’emprunter quand, dans son infographie sur le nouveau gouvernement, il précise pour chacun de ses membres « son statut amoureux » et d’ouvrir trois possibilités : marié(e), pas marié(e) et… vit avec une journaliste (sic). Assez pour que même Le Figaro crie au Maccarthysme.

Voici donc un premier sujet sur lequel la nouvelle ministre des droits des femmes Najet Vallaud-Belkacem pourrait s’engager. Une ambition, une carrière, une activité professionnelle doit-elle vraiment primer sur une autre dans un couple, chacun n’a-t-il pas désormais son indépendance hors du couple ?
Face à cette vulgarité sexiste demeurent la poésie et ce texte de Khalil Gibran sur le mariage qui souligne que l’individu ne se meure pas dans le couple, il en est un pilier, indépendant et solide. 


Alors Almitra parla de nouveau et dit, et le mariage, Maître?
Et il répondit en disant:

Vous êtres nés ensemble et ensemble vous

resterez pour toujours.
Vous resterez ensemble quand les blanches
ailes de la mort disperseront vos jours.

Oui, vous serez ensemble

jusque dans la silencieuse mémoire de Dieu.
Mais qu'il y ait des espaces dans votre communion,
Et que les vents du ciel dansent entre vous.

Aimez-vous l'un l'autre,

mais ne faites pas de l'amour une entrave:
Qu'il soit plutôt une mer mouvante
entre les rivages de vos âmes.

Emplissez chacun la coupe de l'autre

mais ne buvez pas dans la même coupe.
Partagez votre pain
mais ne mangez pas de la même miche.
Chantez et dansez ensemble et soyez joyeux,
mais demeurez chacun seul,
De même que les cordes d'un luth sont seules
cependant qu'elles vibrent de la même harmonie.

Donnez vos coeurs,

mais non pas à la garde l'un de l'autre.
Car seule la main de la Vie peut contenir vos coeurs.
Et tenez-vous ensemble, mais pas trop proches non plus:
Car les pilliers du temple s'érigent à distance,
Et le chène et le cyprès ne croissent pas

dans l'ombre l'un de l'autre.

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